Quand j'm'ennui, j'écris (des fois...)

Sympa effectivement

Allé, un début de suite aux "Nouvelles de Tokyo" qu'apparemment vous avez apprécié

"Mal à la tête.
Mal au cœur...
Le saké m'est toujours aussi douloureux au réveil. Et depuis la fameuse histoire de celle que j'appelle désormais la « Ghostlady Z», j'en fais une consommation qui ferait croire, à tout observateur, que mon seul but dans la vie est de m'immuniser aux effets de l'alcool de riz...

Mais il n'y a que que ça pour m'empêcher de me réveiller en sursaut, puant la sueur, plusieurs fois pendant les courtes périodes de sommeil que je m'accorde.
Ainsi ai-je pu reprendre une vie relativement habituelle, tout du moins pour un gratte-papier alcoolique...

Une courte douche, un alka seltzer et un café, et me voilà me dirigeant vers le métro le plus proche. Personne ne m'accorde la moindre attention, ce qui me convient plutôt bien. Les gaijins ne sont pas si rares à Tokyo. La rame dans laquelle je suis monté n'est pas particulièrement bondée, j'aurai peut-être même pu m'asseoir si je n'étais descendu deux arrêts plus loin.


Il est encore beaucoup trop tôt pour ce que j'ai à faire, aussi je prend le temps d'un peu de lèche-vitrine. Mon rendez-vous de l'après-midi a été reporté, et l'inactivité n'est jamais bonne pour un esprit fragile, c'est pourquoi j'essaye de toujours me tenir occupé. Tout en me concentrant sur les combats que j’enchaîne sur une vieille borne d'arcade, je repense à cette vieille Honda que je devais voir : un Coupe 9 de 1970, avec son anachronique 1300 refroidi par air, soit-disant capable produire plus de 200ch avec les bonnes pièces, et accessoirement de faire griller des œufs et du bacon sur son capot après une bonne séance de time-attack ; pensez, près de 9000 tr/minute sur un air-cooled, ça doit réchauffer l'atmosphère...

Une caisse de collection qui plus est, du genre qu'en Europe, on garderait dans un entrepôt climatisé, en ne la sortant que quelques fois par an, pour des rassemblements quasi-religieux de « sectes » de fidèles passionnés de la marque... Ici, ils les préparent, leur installent des arceaux caissonnés, remplacent leur précieuse peau d'acier pour de la fibre « magique » de carbone, vissent au tableau de bord des batteries de manomètres...

Bon d'accord, pour un engin plus vieux que moi, ça a de l'allure : râblée, relativement basse pour une traction de cette époque, habillée d'un survêtement jaune souligné d'éléments noir satiné, posée sur de splendides jantes démontables à quatre branches, noires elles aussi avec un ourlet poli à la main du plus bel effet, les lentilles de phares teintées d'un jaune orangé typique des seventies, on la croirait échappée d'une vielle série policière. Le flic qui l'aurait conduit porterait des Ray Ban et un blouson de moto en cuir deux tailles trop petit pour lui...
Reste encore à discuter préparation avec le propriétaire du bolide, qui lui ressemble à un banal salary-man, et je pourrais envoyer l'article et les photos à Paris, méritant ce salaire que je mets tant de volonté à boire...


Sortant de ma flânerie, je me rends compte qu'il fait nuit, et d'après les manifestations de mon estomac, l'heure est plutôt avancée. Je me mets en quête de quelque chose à manger. La boisson viendra plus tard...
Après une demi-douzaine d'onigiri aux crevettes, je me dirige finalement vers le Legato. Attention, pas le Legato de la Space Tower hein, j'ai pas les moyens pour ça ! Non, celui-ci est un bouge enfumé sur Shibuya, du genre où les Yak' n'entrent même pas tellement l'ambiance est fade...

C'est là qu'habituellement nous nous retrouvons avec Setsuko, Michihiro et Shoda. Je les ai rencontrés il y a quelques semaines sur un rassemblement sauvage de Drift, près des docks d'Odaiba, dans une des rues menant à la plage Kaihin Koen ; Setsu m'a fait un rentre-dedans assez surprenant dès qu'elle a compris que j'étais français, et comme je ne peux résister aux charmes des jeunes (et moins jeunes, d'ailleurs) nippones... On ne peux pas vraiment dire de notre relation qu'elle soit régulière, mais nous sortons presque toutes les nuits, à la recherche d'autos qui sortent du commun. C'est d'ailleurs elle qui m'a présenté le type à la Honda...
Quant à Shoda et Michi, il semble qu'ils la suivent partout, m'accordant autant d'attention que si j'étais son chien ou son sac-à-main ; je ne laisse faire que parce qu'ils ont une voiture et connaissent apparemment autant de monde que ma compagne dans l'univers si clos du Street Racing Underground...


Je pousse la porte en plissant les yeux, anticipant la fumée et les parfums de bière rance et de sueur. Après un coup d'oeil circulaire, je constate que mes comparses ne sont pas encore arrivés ; rien d'étonnant, la soirée ne fait que commencer. La barmaid, une trentenaire pâlichonne aux dents décalées, me reconnaît et, sans me demander mon avis, me sert une Owa fraîche au comptoir. Les joies d'être un habitué...

J'en suis à ma deuxième bière quand Setsu arrive enfin, traînant à sa suite ses incontournables boulets. Un rapide baiser, un signe de tête distrait vers Itchy&Scratchy, un dernier renversement de la tête pour finir mon diabolo-houblon, et je retrouve l'air frais de l'extérieur. Pas pour longtemps, puisque ma charmante partenaire m’entraîne dans la micro-Subaru de Shoda, sans bien sûre me dire où nous allons... C'en est presque devenu un jeu pour elle, et pour être honnête, je ne peux pas dire que je n'aime pas : la seule soirée-surprise qui m’aie déçu est à mettre au compte de Michihiro et de sa conduite déplorable, qui nous a valu quelques heures dans un poste de police..."